Sujet: Une matinée avec Holopherna Ven 21 Juin - 10:42 |
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Holopherna Alcofribas ouvre une paupière, puis la deuxième, et s’étire de tout son long, autant qu’on puisse qualifier de « long » son petit corps noueux et ses courtes jambes. Couic, crac, croc, trois onomatopées grinçantes et croustillo-craquelantes fusent de sous son épais édredon, au rythme de chacun de ses orteils qui sortent de leur torpeur avec panache. Sept autres craquètements poursuivent le rituel et jusqu’au dernier, le petit « chtik » caractéristique quinto-métatarsique.
Elle clignote des cils, le temps que le monde se débarbouille un peu de ses glaires nocturnes, puis se redresse sur son octogénaire fessier et embrasse sa chambre du regard satisfait de celle qui s’éveille dans son petit cocon, où tout est en ordre et prêt à accueillir une nouvelle journée. Les doigts de pieds fraîchement assouplis s’enfoncent dans les bouclettes de son tapis à franges, et elle glisse de son lit, avec pratiquement autant d’aisance (et beaucoup plus de classe) qu’une jeune sylphette prépubère.
La robe de chambre molletonnée à bordures bleues attend avec langueur, sagement préparée sur son fauteuil de velours, et vient s’ajuster autour du corps parcheminé d’Holopherna. Une paire de pantoufles fourrées aux pieds, elle franchit de quelques petits pas appliqués la distance qui la sépare de sa grande psyché (ndlr : souvenons-nous qu’il s’agit d’une gobline, tassée qui plus est par l’ostéoporose, et qu’un miroir en pied ne peut pas, par définition être grand. Il s’agit simplement d’une emphase volontaire apportée par l’autrice afin que le lecteur commence à s’imprégner de la douce mégalomanie de son personnage). Holopherna salue avec une satisfaction complice son reflet fraîchement émergé des vapeurs d’une bonne nuit de sommeil. Chaque jour, une petite aspérité supplémentaire témoigne de sa sagesse, un jour de plus à ce que le monde profite de sa verte présence et de son fulguro-innovant génie. Elle remarque que ses pommettes saillent de plus en plus sous la finesse de sa peau de vieille et que la gravité attire davantage le lobe de ses oreilles vers le bas, ce qui a pour effet d’accentuer encore la triomphalo-pavillonnante prestance de ses deux pointus appendices auditifs. Quelle merveille, quelle splendeur d’obéir chaque jour davantage aux lois de la gravité et du temps qui passe.
Tous les matins, Holopherna remercie, souriant d’un air orgueillo-édenté à son reflet, de ne pas avoir été née elfe, figée de manière immuable dans cette jeunesse lisse et sans saveurs qui caractérise ceux-ci. Elle aime être ainsi, telle une vieille pomme ridée, qui sent chaque jour un peu plus le cidre et la fermentation. A la fin, elle deviendra, distillée telle un fruit blet dans un alambic, un élixir de pure sagesse, il ne restera plus que son essence, une perfection de vérité et de connaissance. C’est justement un matin comme celui-ci, alors qu’elle considérait depuis plusieurs mois maintenant, avec émerveillement, les plis qui se formaient autour de ses paupières et aux commissures labiales, qu’elle avait eu la révélation. Son existence avait alors pris une dimension toute autre, elle savait, désormais, que chaque jour serait dédié à poursuivre ce fabuleux objectif… vieillir et le rester. Elle ne savait pas encore par quel moyen, mais il fallait vite échapper à sa jeunesse, laisser l’âge adulte derrière soi et plonger le plus vite possible dans le troisième âge. Devenir sage parmi les sages, et le rester, voilà à quoi songeait Holopherna lorsqu’elle faisait craquoter ses orteils un à un le matin.
Elle descend maintenant à petits pas affairés vers sa cuisine où le café, bien fort, sans lait et autre cochonneries toutes bonnes pour les jeunots sans saveur, vient juste de finir de couler dans sa tasse préférée, celle avec les runes. Invention formidable des nains, qu’elle a quand même un peu amélioré à son goût car tout de même, on ne peut pas leur demander de s’adapter à des mœurs aussi raffinées que les siennes. Maintenant, les grains de café sont moulus juste au bon moment avant son réveil pour que le moment où elle trempera ses lèvres dans la tasse corresponde au moment où la poudre obtenue dégage l’arôme le plus subtilement corsé possible. Un délice. La première gorgée du liquide noir coule dans son vénérable gosier et achève de dissiper les brumes de la nuit. Holopherna se tourne vers la huche à pain, se saisit à coups de gestes appliqués d’une planche à découper et d’un couteau. Elle découpe deux tranches d’une brioche de la veille, avec méthode et application. Confiture et beurre s’étalent sur la surface crousti-moelleuse avec le soin millimétrique du geste répété maintes et maintes fois. Heureuse de son œuvre, elle arrange tartines, café et trois pilules piochées dans un bocal, une bleue, une orange, une jaune, à gober dans le même ordre, toujours. Une pour la concentration, une pour stimuler la créativité, la dernière pour l’oxydation des tissus. Toujours prendre soin de sa peau, et surtout quand on a passé quatre fois deux décennies à se battre contre un épiderme lisse comme le crâne d’un chauve. Holopherna emporte son plateau à la table à manger, s’installe et envoie un regard perçant par la fenêtre, pas le coup d’œil poétique et vague de l’orc matinal qui disserte intérieurement sur les douleurs de ce monde, où celui de l’elfe qui se demande encore quel jour on est. Non, ce regard-là est franc, aigu et déterminé comme une aiguille à tricoter. Après les tartines, après les autres rituels matinaux accomplis, elle ira se pencher sur son œuvre, sa grande œuvre.
C’est une magnifique journée qui s'annonce.
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Holopherna Alcofribas
Age : 87
Gang : Big Gang Theory
Race : Gobline
Date d'inscription : 21/06/2024
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