Sujet: Monsieur Zany Sam 25 Mai - 16:43 |
|
|
Suis-je mort, ou vivant ?
...
Je suis vivant. Quelques minutes viennent de s’écouler, je suis toujours là, à m’interroger.
L’eau chaude, presque brûlante, fouette mon épiderme, libérant des volutes de vapeur, des fantômes dansants dans l'air. J’erre dans la réalité de mon monde intérieur, un refuge où je peux être qui je veux. L’eau murmure à mes oreilles, une berceuse aqueuse, et ma peau frémit sous sa caresse ardente.
Une main déformée se porte au robinet et fait taire la douche. Le silence s’installe, lourd et moite, troublé seulement par le bruit irrégulier de mes pieds sur le sol humide. Chaque pas résonne comme une confession dans une cathédrale vide, la démarche claudicante et irrégulière d’une créature oubliée par le temps. J’avance, une serviette jetée autour de ma taille, et me pose face au miroir embué. Une main hésitante, je trace un chemin clair dans la buée. Mes yeux aux reflet bleu acier révèlent un reflet ; c’était tout ce qui pouvait être acceptable, le reste… Ridicule. Laid à faire hurler une crèche entière.
Moi, Zany, né d’un père ouvrier dans une fabrique de Monsieur Patate, d’une mère inconnue. Abominable à faire pleurer une nonne, bossu et difforme. Une silhouette que l’on ne souhaiterait croiser au détour d’une ruelle sombre, la démarche chaloupée d’un volatile auquel on aurait coupé une patte. Un pied bot, l’autre tout aussi moche. Et ce visage hirsute, les lèvres refusant de se fermer à gauche, souvenir d’une vilaine cicatrice ancienne, acquise dans la petite enfance. Vilaine, c’est peut-être ce que je trouve de plus beau en moi.
Une grimace ignoble et ridicule, presque terrifiante, se dessine sur mes traits… un rictus maladroit. Je tente tant bien que mal de me redresser cette carcasse ratatinée, de sourire, car malgré tout, je suis un homme puissant, directeur de maison de retraite. Mon succès repose sur un spot publicitaire interprété par des elfes, chanté sur un rythme entraînant… « L’Ehpad, l’Ehpad… Oui mais l’Ehpad Zany ! ». « Ouvert aux plus de 65 ans ! », annonçait une voix enjouée pour clôturer la page…
Et bim ! Le succès était au rendez-vous ! Des dizaines d’elfes fortunés se sont inscrits dès le lendemain. Cette race d’hominidés, à l’espérance de vie inversement proportionnelle à leur QI. J’ai vu débouler des adolescents elfes de plus de 65 ans, signer des contrats à vie. Autant dire que jamais plus je n’aurai de problèmes matériels.
Alors quoi maintenant ? Vivre ? Faire payer à cette chienne qui m’a érigé en l’incarnation des pires cauchemars de la Vanité.
J’entre dans la chambre. Dans la pénombre, les draps se meuvent comme des vagues, et une charmante elfette montre le bout de son museau. L’Aphrodite avait fait la grimace hier lorsque je lui avais fait une proposition indécente. Elle l’avait dédaignée, outrée. J’avais donc déposé des billets de Monopoly devant elle. Oui, parce que dans mon établissement, on paie en billets de Monopoly. Vous me confiez votre argent et je vous l’échange contre quelques billets qui vous permettent d’acheter des services. J’avais aligné les biftons et observer sa vanité en prise avec sa cupidité. Puis était arrivé le moment. Là, on y était, enfin, son regard allait des billets à l’ignominie que j’étais. Encore quelques billets et je la vis en proie à cette nausée, ce dégout d’elle-même. Ce fut mon instant d’extase, je touchais à la vérité toute crue, moi la créature d’horreur, elle dont la vertu avait un prix. Pour tout dire, j’en avais finalement eu pour mon argent de singe, elle s’était montrée plutôt douée pour jouer à picoti-picota.
Je m’avance et dépose un nouveau billet d’un rouge criard sur la table de nuit. « Bonne fille… » Je m’exprimais d’une voix rauque, presque douce, c’était presque un murmure, celui des indigents s’excusant de s’imposer au monde. Puis je repris sans brusquerie, « Maintenant va, j’ai à faire. ». Certains auraient pu imaginer entendre des accents de tendresse… Autant dire qu’elle ne s’est pas fait prier. Je ne me souviens plus trop, je crois que c’est la résidente de la chambre 102. Madame Keneni. Je souris pour moi-même, cette journée ne débute pas trop mal…
Là, de nouveau en présence de cette compagne si familière, la solitude, je m’adonnai à un nouvel instant d’introspection fermant les yeux quelques minutes.
...
Suis-je vivant, ou mort ?
...
Je frissonne
|
|
Zany
Age : 37
Gang : l'Ehpad Zany
Race : Zumain
Date d'inscription : 25/05/2024
Nombre de messages : 3
|