L'eau et le feu / Chapitre 2 : La traque

Beaucoup s'en doutent depuis un bon moment.
D'autres se le cachaient pour y croire encore.

On a tenté plusieurs manoeuvre de réanimation?
Massage cardiaque, insufflation, et autre tripotage peu courtois.

Rien n'y a fait.

On s'est fait beaucoup de mal ces derniers temps.
Beaucoup de mal a s'acharner.

Le concept de Munuroe avait un potentiel, mais nous, avions nous vraiment la compétence …

Je repensais à ce que quelqu'un nous a dit en claquant la porte. D'ailleurs, un écho s'est glissé par la fenêtre après son départ en haussant les épaules et en dandinant du cul : Nous sommes fragiles et vacillants comme la flamme d'une bougie, trop instables pour qu'on y consacre son énergie créatrice.
C'est difficile de répondre à un écho. ça vient de loin, c'est aussi franc qu'un …

Chapitre 1...

Immobile.
Depuis au moins quatre heures.
Rigoureusement immobile.

J'ai profité d'un moment crépusculaire où les nuages chassés par le vent passaient devant le soleil oblique. Leurs ombres mouvantes ont couvert mon déplacement, depuis la minuscule tabatière jusqu'à la forme tarabiscotée du clocheton à moitié écroulé. Assez irrégulier pour masquer une si petite irrégularité de plus...

Une cape grisâtre comme le toit sale et les pierres effritées. Décidément, moi et les capes... Celle-ci m'enveloppe te la tête aux pieds, pli et repli. Juste les yeux qui dépassent.

La nuit vient de tomber.
Il est revenu depuis peu de temps, à la même heure qu'hier. Je l'avais suivi, assez aisément, dans la soirée d'avant-hier, puis je l'avais subitement perdu. Hier je me suis postée sur les toits, et j'ai pisté le panache de son chapeau à partir du point où je l'avais perdu la veille. Je l'ai re-perdu, trois cent mètres plus loin... Et retrouvé, par le plus grand des hasards...
Un coup de chance.
Il était à trois pas d'une porte toute simple, sans fioritures. La porte de cet immeuble, là devant. Il y est entré et n'est pas ressorti.

J'ai mis toute la journée d'hier à trouver un moyen de me glisser sur le toit de cette vieille maison. A première vue, aucune fenêtre qui ne soit pas barrée par des planches bien plus solides qu'il n'y paraissait. Quand elles n'étaient pas complètement murées. La seule maison où j'ai réussi à entrer n'avait plus d'escalier. J'ai sorti ma corde. Mais toutes les fenêtres des étages étaient murées. Je suis ressortie sans me faire voir.

En fin de journée je désespérais de trouver une solution. J'avais trop rôdé dans le quartier. Je ne m'y sentais plus en sûreté, malgré mes sept déguisements successifs... Et c'est là que j'ai trouvé, au hasard d'une rue déserte. Le haut balcon, et en face, cette vieille perche de chargement. Le balcon, je pouvais y parvenir. Un grappin, une corde, et la perche de chargement. Et juste sous le toit, ces quelques ardoises mal jointes.

J'ai continué mon chemin. Regagné ma mansarde et choisi mon matériel.
L'heure d'après, je me glissais dans la maison voisine de celle au balcon. Puis sur le toit. Par une fenêtre à tabatière, je suis entrée dans le grenier de la maison au balcon. Un jeu d'enfant de forcer la porte à s'ouvrir, de l'intérieur... Il n'a pas fallu attendre plus de quelques minutes pour que les deux poivrots dans la rue s'éloignent en riant... Mon grappin a pris au second essai. La corde tendue entre le balcon et la perche, j'ai traversé la rue comme une araignée sur son fil. Une traction pour récupérer la corde. Déplacer les ardoises assez pour me glisser dans le grenier. J'y étais presque.

De grenier en toiture, j'ai traversé tout le bloc de bâtiments pour gagner la dernière mansarde. Celle qui n'était qu'à quelques mètres du clocheton écroulé. Presque face à la planque des Cartels de Gascogne. Il fallait redoubler de prudence, j'ai attendu longtemps. Mais c'était ce soir ou jamais. Trop de temps, trois jours, alors que je lui avais promis des nouvelles au bout de deux. Ce soir, je devais lui rapporter des nouvelles, ou abandonner. Et ça... Non. Il m'avait assez défiée. Je réussirais.

Je rumine ses insultes déguisées, depuis les heures que j'attends ici. Je fantasme sur le moment où je lui jetterai son miroir à la figure. J'en frémis d'avance... J'ignore délibérément les quelques mots de la fin, juste avant que la porte ne se ferme. Je ne veux pas m'en souvenir. Pas maintenant. Ce temps est celui du ressentiment. Ca tient éveillé...

Lumière.
Derrière deux des fenêtres d'en face, la lueur d'une bougie, d'une lanterne peut-être. J'ouvre grand les yeux. La main crispée sur la petite lunette de marine volée il y a des lustres à cette brute de Kenuky, j'attends qu'il y ait quelque chose à voir qui justifie le risque de la porter à mon visage...

Un jour de retard...
Je suis, depuis son départ, resté dans la chambre, à part quelques rares sorties discrètes.

J'ai pensé la suivre. Surtout lorsque j'ai appris de l'aubergiste empressé à satisfaire le client, quitte à vendre père et mère, qu'il avait loué une chambre à mon étage. Une maligne, ya pas à dire... Susceptible, mais professionnel.

Mais j'ai renoncé à cette idée pour un ensemble de raisons complexes, mélangeant la connaissance objective de mes capacités de filature (mauvaises) comparées aux siennes (probablement excellentes) et le sentiment qu'elle sera plus efficace sans moi dans cette phase de la traque.

Un jour de retard...
Et pourtant, je ne pense pas qu'il m'ait doublé. Étrange certitude à propos d'une silhouette dissimulée que je n'ai vu que deux fois et qui probablement me déteste.

Un jour de retard...
Si ce soir, je n'ai pas de nouvelles, il me faudra repartir en quête d'un voleur plus capable..ou plus fiable...

Durant ces longues heures d'oisiveté forcée, allongé sur le lit, appuyé au rebord de la fenêtre le regard perdu sur les toits, j'ai imaginé sa progression, ses recherches.
Je l'ai imaginé grimper sur les toits, visage caché par sa capuche.
Je l'ai imaginée, dans une taverne, attablée dans l'ombre, en train de murmurer à l'oreille de Sire Anno.
Je l'ai imaginé entrer dans cette chambre, le succès méprisant irradiant de ses moindres gestes...
Et, la plus grande de mes craintes, je l'ai imaginé me ramenant le miroir, ayant fait fi de mes exigences... Quand cette pensée me vient, je tente vainement de la repousser, de ne pas y songer. Comment réagirai-je ? D'un point de vue pratique, j'aurais récupéré mon bien...
Non... On l'auras récupéré pour moi... Quelque part, j'aurais failli à le retrouver... Cela signifierait que je n'étais pas capable... pas digne... Aigre réussite....
Non, elle va venir... Avec des renseignements.
Un jour de retard....

Sire Anno a écrit:: Je viens de revenir de l’auberge… j’aime humer par moi-même l’atmosphère de la ville. Ecouter ce qu’il s’y dit, voir ce qu’il s’y fait, dégotter les bons plans et stimuler mon imagination. Ma présence dans la ville, à l’opposé de certains boss qui ne vivent que derrière les murs épais de leur prison personnelle, est travaillée. Je sais trop l’importance du … spectacle, lorsque l’on veut s’affirmer comme le boss d’un gang renommé. Pas de peur dans mes yeux quand je me balade au grand air. A portée des gangs adverses peut-être, mais ils savent que je suis trop coriace pour me faire avoir, et louper leur tentative, hypothèse la plus probable, ne ferait qu’ajouter à mon prestige, et à leur déroute. Afficher de l’assurance, pour marquer les esprits.

Parfois, je remarque des yeux qui s’attardent, des pas qui me suivent, des ombres qui se cachent. J’évalue. Je les laisse me filer un moment, qu’ils pensent réussir à trouver quelque chose sur moi, une faille, une faiblesse… je les sème toujours à l’approche de la planque, sur leur faim, lorsqu’il est temps d’arrêter de jouer.

Ah, oui, de retour dans le confort du quartier général des Cartels, l’inventaire de la semaine m’attend. Quelques bonnes prises ces jours-ci, il faudra que je félicite les Gascons. Peut-être même qu’une prime exceptionnelle serait à l’ordre du jour… Peut-être.
Au fond de ma planque, le bureau qui sert de salle d’état major. Tout part d’ici, et tout y revient. Les Gascons en partent, leurs missions en main. Et ils reviennent, en ayant troqué leurs missions pour des actions, des biftons, des objets de valeur, des morceaux d’influence sur LoneDonne…

Les rumeurs vont bon train, c’est bien, c’est bien. La plupart des LoneDonniens nous connaissent, et savent qu’il ne fait pas bon se mettre en travers de notre chemin.
Les informations sur quelques gangs adverses, sur quelques points faibles de la ville, facilement abandonnés à notre contrôle.

Et du nerf de la guerre. Des biftons donnés par les plus riches bourgeois de la cité, avec juste un peu d’encouragement de notre part. Des fonds pour continuer, graisser des pates, améliorer nos acquis… La planque par exemple. Celle-ci est loin d’être un simple squat paumé. Installé, rénové, choisi dans un endroit calme, à portée d’arbalette du centre de la ville. Presque un pâté de maison verrouillé, pour entourer la planque. Les immeubles attenants sont murés, certains abandonnés mais judicieusement conservés tels quels. Aucune foule pour cacher des ennemis et les laisser s’approcher trop près sans que l’on s’en rende compte. Avec les Gascons pour la défendre, elle est virtuellement imprenable…

Biftons, biftons… ah oui, il y a aussi ce coffret... L’ultime tentative de cet escroc de Suint pour sauver sa peau. S’il n’y avait pas eu un bon poids en biftons et pierres précieuses, j’aurai effectivement considéré qu’il ne me serait plus d’aucune utilité, ce ratling. Voyons un peu plus en détail ce qu’il m’a refourgué. J’allume une chandelle, la luminosité devenant trop faible pour juger de la qualité de ce petit trésor. Evidemment, il a placé les objets les plus attirants sur le dessus, et rembourré le fond de quelques trucs plus inutiles. Quelques babioles pour faire du volume. Admettons, je le garde à l’œil… Je retire les biftons, utilisables immédiatement, et les ajoute à notre trésor de guerre.

Tiens, une partie des pierres me serviront à payer les gascons, d’ici demain matin. Une petite gâterie avant de les envoyer en mission, ils en auront besoin…

Je détaille le reste des pierres, facile à stocker, certaines iront dans ma cassette personnelle, pour assurer le futur. Toujours garder de quoi se refaire, dans une monnaie acceptable par tous les états…

Quoi d’autre... ? Un miroir, en argent. Je le soupèse. Pas une mauvaise pièce, mais trop encombrant pour être gardé tel quel. Je pense connaître le bon receleur à qui en tirer un prix acceptable. Il n’y a pas de petit profit.

Un instant, j’oublie l’aspect pécunier de l’objet que je tiens dans la main, alors que je ma réflexion m’apparaît dans le cadre argenté. Certains ne cessent de se regarder dans le miroir. Moi, pas besoin, je suis rappelé en permanence de ma difformité, sans avoir besoin de regarder un miroir. Il est toujours là, à la périphérie de ma vision. Brandi en avant, en permanence, comme un sabre de cavalerie qui pointe pour faire donner la charge. Qui sera le prochain à subir l’assaut ?

Quelques reflets derrière les longs rideaux flottants, du mouvement.
J'hésite, je me mordille la lèvre.
Je risque.
D'un geste infiniment lent, je lève la main qui tient la petite lunette, la place devant mon oeil. La fenêtre m'apparaît, démesurée, et immédiatement les choses se précisent...

L'angle d'une table assez massive. Une chandelle nue, une seule. Des bras qui bougent, je crois.
Un profil, net pendant une fraction de seconde. Un profil qu'on ne peut pas ne pas reconnaître...
Sire Anno.

Un mouvement de vent nocturne fait ondoyer les rideaux, et les écarte le temps d'un instant. Oui, c'est bien lui. Tête nue, la toile immaculée de la chemise aux manchettes de dentelle. La lueur colorée de joyaux dans ses mains. Le voilage retombe, je jure entre mes dents, silencieusement.

Je scrute les formes cachées derrière le rideau capricieux. Il semble s'être immobilisé, il tient un objet à la main. Peut-être. Peut-être pas. Il faut que je sois sûre.

Allez... allez...

Même pas un murmure pour encourager la brise.
Allez, vite, avant que la lune se lève...
Elle est sur le déclin, mais trop brillante encore, la nouvelle lune n'est que pour dans trois jours...
Vite...
OUI !!!!

Un autre souffle de brise.
Il fixe son reflet dans un petit miroir d'argent.
C'est ça.
C'est bien ça.
C'est forcément ça.
Vite, avant que le rideau ne retombe à nouveau, je mémorise chaque détail de ce que je vois, le coffret ouvert, trop lourd, de toute évidence, il faudra le laisser, un tapis de haute laine sur le sol, ça amortit les bruits, l'angle d'un grand coffre, coffre à vêtements ou à documents, je ne vois pas la porte, sans doute plus à gauche, et...
Et c'est fini.
Le rideau est retombé.

J'en sais assez...
Je n'ai plus le temps.
La lune est pour bientôt.
Juste un détail encore...

Là.
Cette cheminée, il y a ces décorations de fer forgé scellées dans la maçonnerie. Pas facile, mais il faudra m'en contenter. Et espérer qu'elles supportent mon poids...
Un coup difficile. Je n'aurai pas de seconde chance, le bruit du grappin sur le toit alerterait tout le monde. A moins qu'un de ces crocs de bois dur ?
Peu importe, j'ai la journée de demain pour me préparer.
Il faut que je parte à présent.
La lunette repliée, rangée dans une pochette de ma besace.
Je me coule le long du toit comme une ombre de nuage.
La fenêtre, m'y glisser.
Le grenier, m'y perdre...

Une heure plus tard je suis attablée dans un taverne du quartier Sud, devant une chope de mauvais cidre. Ils n'ont pas de vin. Le gosse est parti porter mon message. Je lui recommande bien de passer par la Chope de Fer, de traverser la salle, de sortir par la cour, je lui indique l'itinéraire pour passer le mur du fond, sinuer entre les courettes et les ruelles et rejoindre la Tête de Pioche, où je l'attends.

Où je l'attends, impatiente, excitée, des plans se croisant dans ma tête, s'entretissant, se défaisant, listes de matériel, choix de vêtements, heure...
La fenêtre m'obsède.
Le profil de l'homme...
Mon adversaire.
J'en ai les mains qui vibrent.

Je sommnolais, de ce mauvais sommeil poisseux, gangréné d'anxiété et d'images blafardes en boucles infinies quand le coup à ma porte me réveilla, la bouche sèche et la nausée au bord des lèvres.
A voir la chandelle, la nuit était entamée de quelques heures.

C'était le même gosse, celui à la dentition de ratling avec un message froissé dans sa main crasseuse. Il n'eut droit comme récompense qu'à un regard mauvais. Qu'il aille chouiner auprès de l'expéditeur.

Un message, au ton sec, comme son auteur, m'indiquant l'itinéraire pour rejoindre ma voleuse.
Ca la fatiguerait de me rejoindre ici ? A moi de me crapahuter dans les ruelles sordides de cette ville puante ?
Je mémorisais rapidement les indications avant de bruler le feuillet à la flamme de la bougie.

Quelques détours plus tard, me voilà devant la tête de pioche. Rien qu'au nom du bouge, je devine qu'il doit s'agir de son quartier général...

Je rentre.
Ambiance sinistre, Éternels pochtrons, sempiternelles catins, tâches noiratres parsemant la sciure grisatre, chandelles dégageant une odeur de suint brûlé, tabourets bancals devant le comptoir aux planches disjointes... Très classe.

J'aperçois sa silhouette, rencognée dans l'obscurité. Je vais encore avoir droit au manège du secret.
D'un pas rapide, je me dirige vers la table et m'installe.
Pas un salut, pas un mot, je ne suis pas d'humeur.

Ah, le voilà.
L'air grognon, la lippe crispée et le regard mauvais.
Je souris sous mon chapeau.
Attends d'entendre ce que j'ai à dire, je gage que tu en oublieras de faire la gueule, messire Six.

Un geste à la serveuse, une fille grasse et trop maquillée, mais au sourire agréable. Elle hoche la tête et m'apporte un autre cruchon de cidre, et une seconde chope. Je retiens à grand-peine un sourire quand je constate qu'elle s'incline bien trop pour déposer son fardeau, et de manière à ce que les profondeurs de son décolleté m'apparaissent dans toute leur générosité... Elle doit aimer les jeunots. Je lui laisserai un petit pourboire, pour sa peine perdue d'avance... Et pour cette petite incongruité très amusante, ma foi...

Une fois qu'elle s'est éloignée, me gratifiant d'une oeillade prometteuse, et ignorant délibérément Six, je prends le temps de le servir, puisque ça aussi, on dirait qu'elle l'a oublié... et puis ça me permet de museler mon hilarité. Puis je repose le cruchon, saisis ma chope, la lève comme pour un salut, et sur le même ton que je prendrais pour dire "à vos amours", je lâche :

Je l'ai vu, je sais où il est.

Et je bois deux gorgées de cidre, guettant sa réaction.

J'ai failli répondre "Z'avez mis le temps!!" comme quand on dit "sta ct'heure là qu'tu rentres?!" mais je savais pertinemment que ça allait plomber le dialogue qui allait suivre.
Alors, j'ai renoncé. Il est plein de colère et de méchanceté, toujours à croire que le monde entier lui en veut, mais je ne vis pas avec, hein...

Dans quelques jours, maxi, je ne la verrai plus, elle et son chapeau... Alors, j'ai arrêté de jouer et j'ai décidé d'être sincère.
J'ai souri. Pas le sourire éclatant, non, ni la face réjouie, ni les yeux qui pétillent, non. Juste souri.
Parce que c'était une bonne nouvelle.
Parce que j'étais soulagé.
Parce qu'elle avait respecté les consignes.

Félicitations.
Dit sobrement. Pas la peine d'en rajouter non plus, il a un jour de retard, après tout...

Je la devine qui se marre silencieusement, avec la une tête de chat qui a bouffé le canari. Tant mieux, ça change....
Mais revenons au boulot. Une bonne partie a été faite, mais il reste quand même l'essentiel.
Récupérer le miroir.
Et impossible de courir à l'abordage...
J'ai encore besoin de lui, d'elle.
Ce qui va suivre va être désagréable, avec regard noir, voix méprisante et tout le toutim... Alors, autant s'en débarrasser rapidement :
Quand allons nous le récupérer ?

Je ne demande pas comment. Pas que je m'en fous. Juste que je lui fais confiance. Il a prouvé son efficacité.

Rancunier, l'animal !
J'espérais une réaction plus enthousiaste.
Après tout il va payer très cher quelqu'un pour récupérer un miroir qui, sauf erreur, ne vaut pas tripette, dans des conditions particulièrement difficiles et qui mènent à se faire des ennemis puissants, j'arrive non seulement à lui retrouver son joujou, mais en plus a avoir une idée très précise de son emplacement, et lui, il me félicite, de bout des lèvres, comme on renvoie un gamin qui vient vous montrer son dernier gribouillage.
Motivant, pas à dire.

Bien, monsieur l'imperturbable, voyons à répondre à votre question, puisque ça vous est si désagréable, on va faire bref et concis.

Au plus tôt.
Demain, à la nuit.
La planque est difficile d'accès, et il n'y aura pas de seconde chance. Espérons qu'ils n'auront pas dispersé les objets, déjà...

Je dois être d'humeur joyeuse, j'ai envie de le faire enrager un peu. Ca doit être la bévue de la serveuse. Ou l'excitation de la chasse. Ou les deux.

Et avant que vous ne posiez la question, pas cette nuit pour deux raisons. Cette nuit sera trop claire, à cause de la lune. Il vaut mieux demain, la différence paraît mince, mais je vous assure que nous y gagnerons.

Et ensuite parce qu'il y a une difficulté...

Petit rire bas, impossible de ne pas avoir envie de rire mais il faut que je contienne ça. Sinon, adieu mon déguisement, autant me balader en robe à paniers et corset de soie.

... en fait il n'y a que des difficultés, mais celle-là est d'importance, et j'ai besoin d'une journée d'entraînement pour...

... réapprendre à lancer la javeline à croc. Cette fine pièce de bois dont un côté est replié, et se déplie à la traction de la corde, et vient se bloquer dans une aspérité. Parfait pour tirer à travers les barreaux d'un balcon, mais là c'est plus loin, plus petit.

A moins que...

Je le fixe intensément.
Après tout c'est possible.
Mais parviendra-t-il jusqu'au grenier ?

A moins que vous ne sachiez tirer à l'arc ?

Une grave lacune dans mon éducation guerrière, par ailleurs inexistante. De plus, allez comprendre, je n'ai jamais trouvé d'arc à vendre ici. Alors que lui, qui a voyagé...
Peut-être.
Ca faciliterait grandement les choses...

Mais... ? Ca parle ? Ca donne des explications ? C'est même presque aimable...
Du coup, je me décrispe. Comme quoi, il m'en faut pas beaucoup...
Un signe à la serveuse laitière et myope...

Je ne posais pas la question. Je vous fais confiance.

Ou cet ado est particulièrement efféminé, ou mes soupçons se confirment... Ce rire....

A moins ?....
Trouver un stratagème pour l'obliger à révéler son visage...

Tirer à l'arc ? Non...
Un arc, c'est plus encombrant qu'autre chose, dans les manœuvres... Puis pour tirer quoi ? La sardine ?
A mon tour de m'amuser un peu....
Pas rapide cette serveuse...
Désolé, non, je ne vais pas vous être très utile sur ce coup là...
Ah la voilà qui arrive en se dandinant avec son plateau... Pas trop tôt... Et que je te mate notre travestie...
Tiens tiens.... Une idée...Vite, détourner son attention....
Vous m'auriez demandé pour une arbalète, ça je sais... J'en ai souvent utilisé pour lancer des grappins, des crochets... Toujours utile ça.... mais un arc, non....

Bientôt...
Presque...
Continue de la regarder avec gourmandise..
Croche pied....
Et que je me vautre avec le plateau.....
...Sur Mystérieux....
Que je suis maladroit.....

Ah...
On tient peut-être quelque chose, là.
Le problème de l'arbalète, c'est son poids. Et il va falloir se la coltiner, de toit en gouttière, sans qu'elle fasse de bruit... Pas du gâteau.

Mmmmmh...

Je réfléchis à sa proposition, sérieusement.
L'arbalète, ça nous donnerait nettement plus de chances de réussir le lancer du premiers coup, beaucoup plus précis, plus puissant... Oui..
Mais est-ce qu'on en trouve des assez légères pour ce genre de travail ?

Comme je lève le nez de ma chope pour lui poser la question, je vois une masse de chair m'arriver dessus dans un braiment affolé.
La serveuse !
Mais qu'est-ce qu'elle fout là ?

Pas le temps de réagir, elle s'abat sur moi, et comme elle doit faire pas loin de deux fois mon poids, devinez ? La chaise bascule, et je me retrouve empêtrée dans les jupons de la fille qui couine comme un goret. Avec une jolie douleur à l'épaule.
Merde.
Mon chapeau.

Avant même de me relever je l'agrippe et me le replante sur la tête. Ce faisant je capte le regard de Six. Inquisiteur. Pas surpris pour un sou.
D'accord. Compris.

Je me redresse sur un genou, rabattant le manteau, je porte des vêtements amples et un de ces bandages autour de la poitrine, mais faut pas exagérer. Pour lui le mal est fait, mais d'autres gens dans cette taverne tournent les yeux vers nous. Imbécile.

Je relève la fille en la laissant se répandre en excuses et en jérémiades, en j'sais pas c'qui s'est passé messire, pardon, j'ai du trébucher, oh c'que je suis embarrassée, pardon vraiment... je la laisse causer, ça l'occupe et ça m'évite de devoir le faire à sa place. Je clôture juste le chapitre.

Laissez, personne n'est blessé, c'est le principal. (en me retenant sauvagement de planter un regard furibond dans les yeux de Six) Voici votre plateau. Ne vous en faites pas, tout va bien.

Et je la renvoie à ses clients, toute émoustillée de son aventure.

Je suis restée debout, je tourne la tête pour planter un regard noir dans les yeux de l'autre.

Venez.

Voix égale, neutre.
J'ai réussi à ne pas siffler ça comme un serpent en colère.

Deux pièces sur la table, plus qu'il n'en faut.
Et je me dirige vers l'escalier tout proche.
Je balaie la pièce du regard, la fille est en train de se faire engueuler par son père, le patron, les clients la regardent et rigolent.
Je grimpe l'escalier rapidement, ouvre une porte.
On ne s'y attendrait pas, mais les chambres d'ici sont tout à fait convenables. Je laisse la porte ouverte pour qu'il entre, fais volte face.

Prépare-toi à te faire passer un savon, Six.
J'ai rarement été aussi furieuse.

Le pire, c'est que, intérieurement, je jubile...
Mais je prends bien soin de ne pas afficher de petit sourire satisfait. Non, je ne suis pas fou.

Je la suis docilement.
Presque contrit.
A la suivre, j'ai l'impression d'être dans le sillage d'un feu de saint Elme...
Que de coquetterie, n'empêche... Roux, c'est joli... Je connais des rousses superbes...
Pense à ta mine, Six...
Contrite...

Je la suis dans les escaliers, essayant d'imaginer un corps féminin caché sous ce manteau.

Palier, porte.
Je referme soigneusement.
Lentement.
Je me retourne.
Ouah...
Ca va saigner.... Sans voir ses yeux, je devine les regards meurtriers...

J'hésite dans la conduite à tenir.
Innocent ? "donc, vous disiez ? l'arbalête ?" ou "vous ne vous êtes pas fait mal au moins ?"
Non... A moins de vouloir perdre mes yeux.
Goguenard ? "alors, belle rousse, cette mission ?"
Là, c'est mes testicules qui partent en lambeaux....
Bon, vite, prendre l'initiative.

Ca me chiffonnait depuis le début.
C'est plus clair. Meilleur pour notre prochaine expédition.
Et je vous l'aurais demandé, vous auriez nié...
Problème réglé..
Pouvez l'enlever, maintenant...

Pas pu m'empêcher....
Avis de grain et de tempête... Accrochez vous, ça va valser....

Je suis restée muette de rage et je l'ai laissé prendre la main, c'était idiot, mais j'avais besoin d'une seconde pour me calmer et éviter de me mettre à rugir. Il a une sorte de reflet dans l'oeil, une sorte de rire contenu qui me donne envie d'y planter une longue aiguille... Tiens, chauffée au rouge, pourquoi pas... Peut-être même barbelée...
Respire, Djaya.

J'ai les bras étroitement croisés sur ma poitrine. Raide comme une lame. Il est doué. J'ai rarement ressenti autant de fureur. Il faut dire que j'évite suffisamment les gens pour m'en prévenir, et que je me contente du minimum vital en matière de contacts humains. Bizness is bizness. Et le reste ne me concerne en rien. Chacun ses petits secret et on en reste là.
De quel droit est-ce qu'il outrepasse cette réserve-là ?
Est-ce que je lui demande pourquoi il tient tant à sa babiole ?
Est-ce que je lui demande son nom et s'il aime la région ?
Salopard.

Meilleur ? Je ne vois pas en quoi.
Votre curiosité malsaine nous fait courir des risques idiots et totalement inutile.
Je vous croyais assez sensé pour vous douter qu'il fallait éviter au maximum d'attirer l'attention sur nous.
Qui plus est, votre sale tour aurait pu me coûter autre chose qu'une contusion à l'épaule. Qui risque déjà de m'être une gêne non négligeable pour la suite du travail.

J'ai parlé bas, rapidement.
Chaque mot comme martelé sur son front d'imbécile.
Je ne cherche plus à être courtoise ni correcte ni rien. Je m'en fous s'il entend la colère dans ma voix, même si je l'étouffe. Au contraire, ça me soulage un peu de lui envoyer mes mots à la face.

D'un geste rapide j'attrape le rebord du chapeau et l'envoie voler sur le lit.

Voilà.
Effectivement, ça change tout n'est-ce pas ?
J'espère que vous vous sentez mieux ?

Regard plein de rage, de sarcasme, et même un peu de mépris.

Je me détourne, fais deux pas raides vers la petite table, me sers un verre de vin d'une main trop brusque. J'en répands un peu. Juron. Je m'en octroie une lampée. Ca réchauffe. Mais ça ne me détend pas vraiment.
Je ne lui propose pas de se servir, il n'a qu'à s'en charger lui-même. Il y a une seconde coupe. Ce n'est pas un hasard, puisque ce vin ne vient pas d'ici.

J'abandonne ma coupe à moitié vide et fais quelques autres pas vers le fauteuil. Me laisse tomber sur l'accoudoir un peu fatigué, recroise les bras sur ma poitrine. Je le fixe. Ce que j'adorerais tordre ce petit sourire satisfait qui tente de lui retrousser le coin des lèvres...

Maintenant que votre problème est réglé, comme vous dites, peut-on continuer à parler de choses importantes ?

Mais je ne le dis pas.
Ca ne passe pas.
Je suis trop furieuse.
J'ai trop envie de le planter là avec son air de chat qui a bu au pot de crème et se lèche la patte d'un air innocent.
Je me sens la mâchoire en acier, les yeux comme deux puits de fureur et la fumée qui sort des narines.

J'hésite.
Je me tais.
Après tout il n'a qu'à parler, lui.

Je suis en train d'appréhender le concept de flamme glaciale..
Cette fille n'est que passion et rage contenues.
Le genre qu'on a envie de libérer si on ne craignait pas d'être transformé en charpie par l'explosion.

La meilleure attitude, face aux coléreuses, c'est de rester imperturbable... Ça les énerve encore plus, cette impassibilité, mais ça les fatigue aussi...
On serait copain, je lui proposerait un câlin...
Rien que l'idée de proposer une accolade à cette boule de rage, j'ai failli sourire...
Imperturbable, rester im-per-tur-ba-ble.

J'écoute son speech sur le thème "je suis un professionnelle et toi un crétin"

Ben voyons... Pas comme si tu t'étais pas amusée de la méprise de la serveuse... A qui la faute si l'autre vache s'est complaisamment répandue sur toi ? hmmm ?
Et le couplet j'ai bobo à mon épaule... Sans déconner..... Ca marche à la verticlae sur les murs et ça a mal en tombant de la chaise ?

J'allais réagir sur la "curiosité malsaine" (ben oui, l'impassibilité a des limites) quand là, elle retire son chapeau.

Et là... Ouahhahh.
Intérieur, le ouahahaha... Sinon, je serai déjà mort....
Le côté furibard, oeil noir, joues colorées, les cheveux de flamme en pétard...

J'ai pu songer à peut être regretter mon geste.. mais plus maintenant...

Si je me sens mieux ?
La vérité est que oui.
Merde. Parlé tout haut. Vite rattraper le coup... Se donner une contenance en se servant un verre. Et en remplissant le sien, même s'il n'est pas vide. Quitte à m'approcher... Faut prendre des risques dans la vie....

Et redevenir sérieux. Elle est belle, certes, sexy, oui, aussi, malgré le manteau informe,mais c'est pas pour sa tronche que je l'embauche.

Cette petite cachotterie passe très bien pour un client dont vous vous contentez d'exécuter les ordres et de toucher l'argent..

Re-merde... pas très heureuse l'allusion au client....

Mais là, on va partir TOUS LES DEUX en expédition. Vous avez accepté cette exigence... Expédition qui va... comment vous dites.... nous faire courrir des risques non négligeables.... Et ça aurait fait quoi, que je découvre dans une situation délicate que vous êtes une femme ? C'est pas le genre de surprise qui peut causer la seconde d'innattention fatale ? Quand alliez vous me l'annoncer ? Au sommet d'un clocher, style ; au fait, je suis une fille, vous pouvez lancer le grappin ?

J'arrive à me convaincre moi même....

Je comprends le geste.
Mais comprenez le mien aussi...
Et pour vous répondre : non, ça ne change rien... Votre sexe n'enlève rien à ce que j'ai pu apprécier de vos capacités et de votre professionalisme...
Maintenant, si vous voulez vous jetez sur moi pour m'arracher les yeux.... c'est le moment...

Faut toujours que j'en rajoute... Vite une rasade.
Et un coup d'oeil par dessus le verre.
Une arbalète légère, sous un cape, se transporte facilement dans le dos,ne fait pas de bruit et peut tirer à un trentaine de mètres...

Une trentaine de mètre, c'est plus qu'il n'en faut, ce sera parfait.

La voix nette et froide comme une lame de couteau.
Mais dedans... dedans...
Un maelström de fureur.
Les conditions ce sont les tiennes.
Le problème c'est le tien.
Je t'aurais appris ça quand j'aurais été un peu plus assurée sur la confiance que je pouvais t'accorder.
Je sais à présent que je ne peux t'en accorder aucune. Tu peux me faire un coup de pute à n'importe quel moment.
Et ton passage et repassage de pommade ne change rien à rien.
Et ta tentative de ramener les choses à un rapport professionnel courtois tombent à plat, pire, tombent dans le gouffre et tournent et tombent lentement comme les plumes d'un oiseau mort.

Je serre la coupe dans ma main comme si je voulais la réduire en poudre. C'est son air narquois que je veux réduire en poudre. Ses arguments aussi bancals qu'un vieux pirate moisi sur une jambe de bois. Tout ça c'est de la merde. Ca te titillait, tu voulais savoir, tu as profité d'une occasion, ignoré les risques, maintenant tu sais, t'es tout content, tu frétilles de l'oeil, tu gères, tu maîtrises, t'es le mec après tout, quoi de plus normal.

Bordel de merde.
T'as pas idée de l'envie que j'ai de te balancer ma vaisselle à la tronche, pinard inclus.

Faut que je dépose cette coupe sinon je vais craquer.
Voilà, doucement, délicatement, à côté du pied du fauteuil.
Je me lève, chaque mouvement contenu, sinon j'explose.
Je vais fermer la tenture, en restant bien cachée à ce qui pourrait se trouver dans la rue.
La pièce s'assombrit, la lune n'y entre plus, l'unique bougie allumée posée sur la table est insuffisante. Je vais en allumer deux autres, sur un coffre dans un coin.
Tout ça en essayant de respirer calmement, lentement, de laisser s'écouler la colère, de l'enlever comme un vêtement trop petit, qui étouffe, petit morceau par petit morceau...

Avec lui dans la pièce.
Peine perdue.

La coupe par terre, la tentation de la lui envoyer dessus d'un shoot bien orienté. Histoire de lui tremper les culottes et de me calmer l'humeur.

A droite de cette porte-ci, deux portes plus loin, numéro 7. Votre nouveau palace. Linny a apporté le principal de vos affaires. J'espère que vous n'avez pas lésiné sur le pourboire.
Vous avez été repéré.

Sourire qui montre les dents.

Oui, parce que c'est une fille, elle aussi.

J'ai jeté ça par dessus une épaule. Pour l'instant il faut que je garde un peu de distance. Si je m'approche, je risque de faire quelque chose de désagréable pour lui et de préjudiciable pour la suite du programme.

Allez arranger tout ça à votre goût et fichez-moi la paix une dizaine de minutes.

J'ai réussi à tenir presque jusqu'à la fin de la phrase avant que la fureur ne vienne la rendre trop âpre. Je m'améliore. Un geste sec et la clé s'envole dans sa direction. Attrape-la. Ou mieux, rate-la. Ou mieux encore, rate-la et renverse-toi ton pinard sur la devanture, espèce de sale fouineur suffisant.

On est passé à un cheveu...
A un cheveu, on réussissait à rester sur le mode courtoisie glaciale.
Le style "on est des professionnels, laissons de côté nos différents"

A un cheveu...

Son bouillonnement intérieur, sa colère, son ton hautain d'institutrice coincée. Ça coulait sur moi comme l'eau sur les plumes d'un cormoran.

Mais m'envoyer dans ma chambre comme un gosse qui a fait une connerie ? Genre "puni dans ta chambre, Maman est fâchée" ???...
En me balançant la clé à la tronche.
Fallait pas...

On
ne
me
donne
pas
d'ordres

Plus rien à foutre.
J'ai rattrapé la clé au vol.
Et j'ai explosé.

Ca suffit.
Le ton méprisant.
Le coup de "c'est moi qui décide, tu n'es qu'un crétin bon à payer".

Vous vous mentez à vous même. Jamais vous ne m'auriez dit que vous étiez une femme, car jamais vous ne m'auriez fait confiance.
Je vous ai donné mon nom. Dont vous n'aviez rien à faire.
Je me suis mis à votre merci, en vous déclarant vouloir récupérer un objet aux Gascogne.
JE vous ai fait confiance. Même lorsque vous avez été en retard.

Mais vous...
Vous n'êtes que rage acide et méfiance aigre...
Vous ne savez même pas repérer la sincérité dans un compliment, les félicitations de bonne foi.
Pour supporter mon argent, vous me trimballez d'un lieu à un autre, vous transportez mes affaires, vous me faites lanterner.
Et vous vous réfugiez derrière vos compétences. Vous, vous savez... les autres ne sont que des imbéciles.
Mais êtes vous si sure de vos compétences ? De votre déguisement ? Qui m'a repéré ? Vous seule savez à qui je veux m'attaquer...

Je vous met en rage, hein ? Mais tout vous met en rage. Tout.
Alors, oui, je vais vous foutre la paix...

Je suis dans la chambre que vous m'avez choisi.
Rejoignez moi quand vous en aurez envie.

Même si ça vous prend une vie.
Et je me suis retourné.
Trop énervé pour me méfier.

Feulement.

Bordel de merde mais vous vous prenez pour qui ?

Deux pas, un shoot, il me démangeait celui-là, la coupe de vin s'envole et va sonner contre le mur, à deux mètres à sa droite. Elle retombe au sol, cabossée, avec un petit son indigné. Moi je suis restée plantée sur mes deux pieds raidis, au milieu de la pièce, les poings serrés, tendue comme un ressort prêt à claquer.

Vous cherchiez quoi, à vous faire des amis ?
Confiance, confiance, mais qu'est-ce que vous croyez, qu'on peut faire confiance aux gens ? Dans CE boulot ? Qu'on peut se balader à visage découvert et compter sur la renommée et espérer vivre au-delà de 30 ans ? Quand on est une fille en plus, dans ce putain de cloaque où un mâle sur deux est proxénète et les autres rabatteurs ? Vous savez quoi ? J'aurais été obligée de vous le dire parce que la grimpette en chapeau ou en capuchon c'est impossible ! Alors oui je vous l'aurais dit, à MON heure !

Mais CA ! Ce sale coup idiot de gamin que sa curiosité démange, à attirer les regard de la salle entière, mais non, rien à foutre, ça, moi je vis dans cette ville et je dois éventuellement protéger mon anonymat, mais ça, c'est pas important dans cette histoire qui implique un des gangs les plus puissants de la ville, on s'en cale, c'est mon affaire, parce que vous m'avez donné votre nom, merci bien, votre objectif, un petit peu normal si vous voulez qu'on arrive à quelque chose, et moi en contrepartie je devrais vous taper dans le dos et vous dire qu'on est potes, et que je veux bien donner ma peau pour sauver vos fesses, c'est ça ?

Alors oui c'est moi qui décide parce que jusqu'à présent les risques sont pour moi ! Et c'est moi qui vous déplace si je trouve que le fait que deux gusses posent des questions sur vous, et sont surpris le lendemain par l'aubergiste dans le couloir devant la porte de votre chambre, alors que vous êtes sorti trois minutes avant, c'est suspect, même si je ne sais pas qui ils sont et ce qu'ils veulent, et oui, je charge une gamine des rues de faire vos paquets pour que si quelqu'un vous épie au-dehors, il vous voie sortir les mains vides et ne soupçonne pas tout de suite que vous ne reviendrez pas.

Mes compétences ne sont pas rares ici, des petits voleurs vous en trouverez plein. Vous m'avez confié ce travail et j'ai des résultats. Mais j'ai jamais rien signé qui disait qu'on devait faire ami-ami, et rien qui disait non plus que me payer vous donnait le droit de vous introduire dans ma vie privée !

Je commence tout doucement à être à bout de souffle, et cette tirade débitée à voix difficilement contenue m'éraille la gorge.

Maintenant si vous arrivez à foutre votre putain de fierté dans votre poche et à vous rendre compte que RIEN dans ce que j'ai pu faire ou dire jusqu'à présent ne porte à critique, à part dans le fait que ça froisse votre susceptibilité, vous récupérerez votre babiole et puis vous repartirez peinard en vous disant que décidément les LoneDonniennes sont des fêlées insupportables, et j'en aurai rien à foutre.

Sinon je vous vends les infos que j'ai et vous vous démerdez pour trouver quelqu'un d'autre, je veux même bien vous recommander des gens, et après on dira que je suis pas serviable....

Là je dois respirer, j'ai un point de côté.

Cette fille est complétement barrée....
Une vraie cinglée...
Bonne pour l'Hospice des Soeurs de la Miséricorde...
Et dangereuse en plus... Elle a failli m'arracher la tête avec son shoot.
Mais....
Ouah.
Putain de tempérament...

Et je préfère ça. Qu'elle explose, qu'elle me jette des trucs à la têtes, reproches, objets, plutôt que son mépris silencieux.
Et puis....
Faut reconnaitre...
Elle n'a pas entièrement tort...
Pas entièrement...
Bon, évidemment, la plupart de ce qu'elle balance, c'est un ramassis d'âneries... Mais il est possible qu'elle ait raison sur deux trois trucs...
Possible...
Disons que ça peut se discuter...

Je me penche pour ramasser la coupe, le temps de réfléchir à ce que je vais dire.
Pfff... Elle ressemble à rien maintenant... Toute cabossée..
Espèce de sauvage...

Bon, faut prendre une décision...
Dommage...

Je me relève, la coupe toujours à la main.
Je cherche ses yeux du regard. Les accroche.

Je reconnais...
... Que j'ai pu avoir tort...
........ Sur certaines choses...
Et que le coup de la serveuse était franchement idiot...

M'en demande pas plus...
Rien porte à critique... Là faut pas exagérer... mais je ne dis rien....
Je verse du vin dans la coupe. L'abimée... La sienne...
Je lui tend. Feuler ainsi doit donner soif.

Vous avez été efficace, je l'ai reconnu.
Je...
Putain, c'est dur.
...Je m'excuse. Voilà.
Enfin, c'est plus compliqué que ça.
Je ne regrette rien mais je peux comprendre son point de vue. Y réfléchir du moins.
Je me verse une coupe, m'affale dans le fauteuil.

Sale teigne...

Cet air buté, non mais je vais lui rentrer la tête dans le mur moi, à ce type, c'est pas possible. Ses gestes affectés quand il ramasse la coupe, et le regard de reproche, va au coin vilaine fille, j'ai mal dans les côtes à force de tension et de souffle court mais j'ouvre déjà la bouche pour pousser mon ultime "dégage".

Pas le temps, il vient de me couper le sifflet.
Je suspends la gueulante, ça vaut la peine d'entendre ça.
Puis je referme la bouche. Y'aura pas de gueulante. Probablement pas, en tout cas.

Il me tend à nouveau la coupe, la même, emplie de vin, de l'autre, le précédent a fait un beau motif sur le mur, façon art brut... Et je la prends. Même si j'ai la main qui tremble salement. C'est les nerfs. Je regarde la coupe et ma main, c'est mieux. Et puis je préfère ne pas avoir à le regarder en face quand il dit ce qu'il dit ensuite. Ni à me souvenir que c'est la deuxième voire la troisième fois qu'il le dit. Mais la première où j'accepte de l'entendre.

Il va s'effondrer dans le fauteuil, derrière moi. Moi je reste à regarder ma main et la coupe de vin toute foutue. C'est crevant de se foutre en colère comme ça. On se sent creux et friable quand ça s'en va, comme une feuille morte. Je lâche un long soupir. Quart de tour pour ne pas lui tourner le dos, et je me pose sur le pied du lit, les jambes coupées. Vidée.

Une lampée de vin.
Ca fait du bien, ça dénoue un peu la gorge.
Je relève le nez.

D'accord.

Ca accroche un peu. Un autre coup de vin. Mieux.

Désolée pour le coup de sang.
J'aime pas qu'on me surprenne. Déformation professionnelle...

Petite grimace.
Juste parce qu'en moi-même je viens de me dire qu'à part une profession, je ne suis pas grand-chose. C'est quoi cette idée à la con ? N'importe quoi. Autre coup de vin. Mollo Djaya... Pas exagérer là-dessus. C'est un bon moyen de détourner les yeux encore mais faut pas abuser de ce genre de prétextes ça peut avoir des conséquences...

J'ai pas l'habitude de travailler autrement que seule, j'avoue que ça me pose quelques problèmes de gestion. Au niveau personnel.

Mèche devant le nez. Geste nerveux. Dégage. Petit froncement de sourcils.

Pas l'habitude de recevoir appréciations ou félicitations, non plus. Ca aussi je gère mal.

C'est quoi cette série de phrases sèches comme des branches mortes en-dessous du pied ? C'est comme ça que tu t'excuses d'avoir crisé comme une pétasse hystérique ? Un effort nom de Dieu. Et commence par relever les yeux. Des excuses ça ne vaut rien si c'est pas scellé d'un regard.

Pardon pour tout ça.
Ca ne se reproduira pas.

J'espère.
Maigre sourire.

De toute façon je ne vois pas quel autre secret vous pourriez révéler en me faisant tomber une vache dessus, alors ça devrait pas être trop difficile à tenir, comme promesse...

Petit reproche implicite, pour souligner le match nul...
Le "on est quitte"...
Table rase, compteurs à zéro...

Avez-vous déjà tenu au creux de votre paume ces cristaux de sel aux formes étranges qu'on trouve sous les tropiques au bord des mers intérieures ?

Avez vous déjà contemplé le corps nu d'une femme endormie caressé par les rayons de lumières filtrant à travers les moucharabiehs ?

Des moments où vous savez que le plus infime mouvement, le plus léger souffle d'air, suffiraient à détruire l'étrange harmonie de l'instant.

Et pourtant, vous savez qu'il va vous falloir expirer, vous savez que les muscles de votre paume vont se contracter...
Alors, vous profitez à fond de cet instant, sachant qu'une grande part de sa beauté tient dans sa fugacité.

Sa posture n'est pas détendue, non, mais moins sur la défensive.
Ses phrases sont moins hachées, moins crachées, plus calmes
Sa voix plus éraillée, moins rauque.
Elle me regarde. Vraiment. Pas ces rafales d'œillades assassines.

Quant au contenu...
Un moment, je pense que le vin est drogué, que je suis tombé dans un piège...
Elle reconnait ses torts ?
Elle ... non ? Elle s'excuse ?!!!
Je n'aurais jamais cru... Qu'est-ce qui a bien pu provoquer ça ? Elle doit avoir un besoin pressant d'argent, je ne vois que ça...
Et, au moment où je me disais que plus rien en ce bas monde ne pourrait plus jamais m'étonner...
Elle me sourit ...
Enfin elle sourit. Ça ne m'était sans doute pas adressé...
Un petit sourire, timide, plus proche du rictus que de la franche rigolade. Et les yeux ne suivent pas, non, toujours ce regard de bête traquée en colère, mais un sourire quand même.

Le mien est plus franc mais je le retire assez vite, j'ai peur qu'elle le prenne pour un sourire de satisfaction ou de suffisance alors que ce n'est que pur plaisir.

J'accepte sans broncher la dernière remarque. C'est de bonne guerre.
Je la sens mal à l'aise. Elle doit pas avoir l'habitude...

Je me penche sur l'accoudoir pour lui servir du vin.
Bon, on va pas se serrer la main. Comme elle a dit, on ne sera jamais amis.

Retour sur un terrain qu'elle maitrise. Le sien.

Une idée de qui peuvent être ces types ? Ceux qui me cherchent et que vous avez repéré...
Ma voix est plus chaleureuse, mon ton plus détendu. Le seul indice...
Et pour l'arbalète ? On attend quand même demain soir ?

Quand même, elle devrait sourire plus souvent....

Ah... Il s'y attendait pas.
Ca se voit à son air...
Tant mieux.
Et apparemment, ça lui convient.
Tant mieux aussi.

Il me ressert du vin, j'accepte même si je ne le boirai probablement pas, j'ai besoin de garder les idées claires, et elles sont assez embrouillées comme ça...

Ses questions sont calmes, logiques, posées sur un ton très différent des dernières qu'il m'a assenées. Son regard est franc. J'ai plus de mal à le soutenir, à présent. Enfin, nettement moins.

Je réfléchis, soigneusement.

On attend quand même... Parce qu'on n'aura pas de deuxième chance. Il faut qu'on soit prêts. La cible est toute petite, et il faudra la toucher du premier coup, avec la corde attachée sur un carreau emballé de feutre, ça va sûrement plomber la précision du tir. A moins que vous ne soyiez sûr de vous... Mais je serais plus tranquille si on travaillait un peu le sujet ensemble, avant de se lancer.

Ensuite, il y a le clair de lune. Il sera moins franc demain, et en plus la nuit de demain devrait être plus nuageuse.

Je touche ostensiblement le montant du lit.

... si cette andouille de Meteyo n'a pas encore lu ses prévisions dans le fond d'une bouteille, évidemment... Mais ça se couvre à l'est, donc ça se pourrait bien qu'il ait raison.

Demain, une fois la nuit bien avancée, donc.

Je m'octroie une autre gorgée, la dernière.

Les types... Je ne sais pas. Un ratling et un zumin, paraît-il. Ils n'ont donné aucune indication, et Rolf connaît la manière de dérider les gens, donc pas des novices... A vue de nez, comme ça, des hommes de Suint. J'ignorais qu'il savait à qui appartenait le coffre... Peut-être qu'il ne le sait pas et cherchait au hasard, en espérant vendre l'info aux Cartels contre un peu d'indulgence... Aucune autre idée, en fait.

Rolf n'a rien lâché, mais les types sont revenus, et ils en voulaient à votre porte. Une chance qu'il soit monté voir après votre sortie. Peut-être que vous auriez eu une mauvaise surprise au retour, s'il ne les avait pas fait fuir. J'ai préféré vous mettre à l'abri, par précaution.

Coup d'oeil, un rien contrit.

Et sans vous le dire, vu que je ne sais pas dans quelle mesure vous êtes un bon menteur...

Petit geste, genre, "et voilà"...

Je l'écoute, plus ou moins avachi dans ce fauteuil au tissu râpé, contemplant son profil à demi caché par ses cheveux sirotant mon verre.

Sa posture est moins raide, les échanges de regards plus fréquents, le ton plus calme. Pas amical, non, certainement pas, ni même chaleureux mais moins agressif, moins sur la défensive.
J'apprécie cette accalmie après la tempête rageuse.

Ses phrases sont concises, leur contenu clair et précis. Pas à dire, elle est talentueuse. Je hoche la tête, en guise de ponctuation, à mesure que j'enregistre. A la fin, je ne peux m'empêcher de lui jetter un regard admiratif.

Demain donc. Ça ne me pose pas de problème. Vos arguments sont solides et je vous fait confiance...Même si vous gérez mal.
Un sourire, léger, pour adoucir. C'est plus une tentative de complicité qu'une moquerie. Vouée à l'échec, je sais, mais c'est plus fort que moi
Et un peu d'entrainement à l'arbalète ne peut pas me faire de mal...

Un soupir m'échappe tandis qu'elle termine la dernière partie de son discours. Je pense tout haute pour partager mes réflexions.
Des hommes de Suint ?
Possible.
A Amster, je n'ai pas particulièrement pris de précautions pour retrouver la trace du coffret... Même sans me connaitre, il est possible qu'ils fassent le tour des auberges, cherchant un étranger...
Vous avez bien fait, je dois, ça aussi, le reconnaitre...
Car je ne suis pas très bon menteur...
Même si ca ne fait pas plaisir de se faire trimballer. Le sentiment.. d'impuissance m'est parfois désagréable...L'impression d'être un objet... Mais c'est lié à moi, vous ne pouvez pas comprendre...

Je me lève, pour bouger, chasser l'ankylose qui s'installe. Quelques pas vers la fenêtre, un coup d'oeil dans la rue en prenant soin de ne pas faire bouger la tenture.

Je vais rejoindre ma chambre... La 7, c'est ça ?
Un sourire, de nouveau, en repensant au déclencheur de notre explosion.
Je fouille dans ma bourse, en retire quelques biftons que je pose sur la commode bancale.
Pour la gamine... Mon agacement lui a fait raté le pourboire, tout à l'heure.
Autant régler mes dettes.
N'hésitez pas à demander, si vous avez besoin de fonds. Pour l'arbalète, par exemple. Ou voulez vou qu'on aille l'acheter ensemble ?

Je vous attends.
Demain, quand vous le jugerez bon.
Passez une bonne nuit.
Et merci pour le vin.
Je ne lui tend pas la main, je devine qu'elle doit fuir tout contact. fantôme d'inclinaison du buste et hochement de tête en guise de salut.

Pas si facile de soutenir un regard quand la bouche sourit en-dessous.
Je dois vraiment me serrer pour y parvenir.
Un regard m'est déjà une épreuve, alors un regard souriant...
Mais j'y arrive.
Même à hocher la tête et à produire un petit sourire bref, moi aussi.
Etrange. Est-ce que je serais en train de devenir sociable ?
Quelle drôle d'idée.
Mieux vaut écouter ce qu'il a à dire.

Je suis attentivement la suite de ce qu'il dit. Apparemment j'ai vraiment bien fait de prendre les rènes sur le coup du déménagement. Deux bouts de phrase cependant me laissent perplexe. Celles qui s'achèvent par un "vous ne pouvez pas comprendre"... Je hausse seulement un sourcil, mais je ne relève pas la remarque. Je peux parfaitement comprendre... Mais je ne tiens pas du tout à ce qu'il le sache, ni surtout, à ce qu'il sache pourquoi. Ceci dit ça me titille la curiosité, cette remarque.
Mais soit.

Je le suis des yeux tandis qu'il se déplace dans la pièce, puis il se retourne vers moi avec un petit air un rien moqueur. Et je ne me crispe pas. C'est une boutade, pas méchante.
Par contre là où je me crispe c'est en le voyant sortir quelques biftons.
Un homme posant des biftons sur un meuble de ma chambre.
Un souvenir ignoble et douloureux.
Je serre les dents.
Et j'arrive même à les desserrer avant qu'il ne pose à nouveau les yeux sur moi. Vu que c'est pour Linny. Pas pour moi. Pour elle. Respire.
Il poursuit ses remarques.

Je me lève en acquiesçant quand il parle de l'arbalète. Et je le raccompagne jusqu'à la porte. Je souris brièvement à son salut, encore.

Très bien, je viendrai vous chercher.
Profitez de cette nuit, la journée de demain sera rude...

Un soupçon de taquinerie dans mon sourire et dans ma voix.

... surtout pour vous. Je suis dans le genre perfectionniste, et je crois que vous allez me détester...

Je lui ouvre la porte, le salue de la tête à mon tour.
Et c'est là que je commence à me poser vraiment des questions sur mon comportement inhabituel.

Et...
... au fait, mon nom est Djaya.

Le vrai en plus.
Sorti tout seul.
C'est sans doute une façon de vraiment m'excuser.

Vous saurez qui détester comme ça.
Bonne nuit.

Trop rapide la voix.
Trop sourde.

Je suis perché sur le grand cacatois, les jambes ballant dans le vide, regardant en souriant le pont au dessous et l'équipage qui manœuvre. Le vent caresse mon visage, le soleil chauffe, je suis tranquille, je me repose. Un léger sifflement me fait tourner la tête.
La belle voleuse, cheveux dans le vent, me fait de grands signes, le visage en colère.
Je ne comprend pas.
Djaya. Son nom, c'est Djaya.
Qu'est-ce que j'ai fait.
Elle s'agite, accrochée au petit perroquet. Elle va tomber. Ce n'est pas un marin..
Elle veut m'indiquer quelque chose.
Djaya, son nom, c'est Djaya.
Derrière moi ? Ses gestes deviennent frénétiques
Je me retourne. Pour me retrouver face à la gueule bavante de Suint, ricannant en pointant une arbalète sur mon visage.
J'entends la voleuse hurler.
Djaya, son nom c'est Djaya.
il presse la détente.
Explosion de douleur
Je tombe.
Longtemps.
Peut être que je hurle.
J'ai sans doute mal.
Son nom ? j'ai oublié son nom...

Tapis de laine aux motifs géométriques. Coussins et narguilé.
Elle est roulée en boule à mes pieds. Le visage dans les mains.
Sanglots de rage ? Sanglots de détresse?
Je m'accroupis près d'elle. Cheveux comme des flammes.
Je ne peux pas la toucher
Les flammes. Trop de flammes.
Djaya, son nom, c'est Djaya.
Les flammes ardentes qui chauffent, qui dansent.
Le fer si blanc, si brillant
Et ce grésillement âcre.
Tu n'aurais pas du, mon mignon...tu n'aurais pas du...
Regarde... Regarde ce miroir... Prends le.... Ta main. Le miroir. Ta main. Grésillement. Feu blanc.
Le miroir... Les flammes dans le miroir.
Son nom ? Djaya..

Ce sera bientôt l'aube. Je distingue la palissure hésitante du ciel à l'est au dessus des toits.
Je suis en sueur.
Je suis fatigué.
Saletés de rêves.

Djaya. Son nom.
Que j'ai pris comme un cadeau. Le seul que je recevrais d'elle probablement.
Je n'ai pas bronché quand elle me l'a offert, juste un hochement de tête, de peur de l'éffaroucher, de la faire rentrer dans sa coquille de colère.

Hochement de tête comme un remerciement.
Hochement de tête comme un bonsoir.

Les quelques pas sur le plancher disjoint qui me séparent de ma chambre.
Devant la porte, coup d'œil vers la sienne.
Elle a déjà refermé.
Rapidement, j'ai sorti mes quelques affaires, me suis nettoyé sommairement à la bassine avant de me coucher sur le matelas de laine.

Maintenant, je suis réveillé.
J'ouvre la fenêtre, au diable la prudence. J'ai besoin d'air, j'ai besoin d'imaginer, plus loin, là bas, les senteurs marines.
il ne me reste plus qu'à l'attendre.
Djaya.

La porte fermée.
Un poids immense qui me tombe dessus, d’un coup.
Epuisement.

Ces trois jours sous tension, sept heures de repos, en tout, pour tout.
Plus ma petite colère, là…
J’en peux plus…

Je largue la longue cape grise qui tombe en tas par terre dans un froissement fatigué, une botte, deux bottes, le vieux ceinturon portant la dague. Poitrine oppressée, besoin d’air, passer la tunique sans manches au-dessus da ma tête, m’énerver un peu sur les boutons de la chemise et la laisser tomber autour de ma taille. Défaire le bandage qui m’écrabouille les seins, respirer, respirer, enfin…

Trop fatiguée, juste enfiler à nouveau les manches de la chemise, je m’affale sur le lit, paupières lourdes, corps engourdi, tirer à moi le couvre-lit, trop crevée pour aller éteindre la bougie, tant pis, elle s’éteindra toute seule, elle s’éteindra…

Lueur matinale qui vient frapper mes paupières à travers les tentures fermées.
Mon cœur s’emballe, un grand frisson me secoue.
Quelle heure est-il ?
Quelle heure ?...

Je m’assieds lentement, encore tremblante.
J’ai toujours détesté les réveils en sursaut…
Nom de dieu mais quelle heure peut-il être ? Tôt sans doute, le soleil est très bas. Je me lève, mes jambes sont encore mal assurées. Un coup d’œil au bord de la tenture… Très tôt. Mais quand même, j’ai trop dormi.
L’eau froide de la cuvette me réveille et dissipe les dernières bribes de rêve. Un rêve stupide. Un peu différent de mon grand classique, mais tout aussi stupide. Ridicule. Perturbant. Mais j’en ai ras-le-bol des cauchemars ! Même si c’était pas exactement un cauchemar, c’était… Oh et puis merde.

Je me rhabille, oubliant le bandage cette fois, plus la peine. Je passe une ou deux minutes à peigner mes cheveux, à les tresser en une longue natte. Trop longue encore, elle me tombe dans le creux du dos. Cachée sous la cape ça suffira. Je l’attacherai pour cette nuit, comme d’habitude.

Voilà. Il est temps.
Un crochet par la salle du bas et les cuisines, et je remonte munie d’un plateau. Petits pains, fromage frais, fruits. Et un pichet de cette infusion fleurant la mandarine et les fleurs amères, qui requinquerait un agonisant. La femme qui m’a préparé tout ça babillait sans arrêt. Elle avait les mains fortes et un peu rouges. De belles mains. Fort heureusement la grosse fille d’hier n’était pas là. Tant mieux, je ne tiens pas à la croiser encore…

Je frappe deux coups discrets à la porte de Six.
C’est parti.

Les gestes lents, je me suis lavé, j'ai changé de vêtements, tentant d'effacer le souvenir poisseux de ce rêve qui m'englue l'âme.
La peste du passé et de ses traumatismes. La peste de l'avenir et de ses incertitudes.

J'étais en train de me demander si j'allais ou non faire un tour aux cuisines quand on a frappé à la porte.

Deux coups, comme assourdi.
J'entrouve la porte, de la main, gauche.
La droite, dans mon dos, tient un coutelas.
C'est elle.
Djaya.
Avec un plateau.
Je la fais rentrer, je referme la porte avec un coup d'œil dans le couloir désert.
Retour dans la pièce, regard rapide sur la silhouette, beaucoup plus féminine que la veille, la poitrine qui n'est plus celle d'un adolescent, la longue natte...

flammes

Bonjour.
Djaya.
La première fois que je le prononce tout haut.
Je me sens mieux d'un coup. Probablement l'odeur du plateau.

Posez le sur la commode.
Merci. Pour l'attention.
Asseyez vous, je vais prendre la relève.
Silencieusement, je remplis deux gobelets à partir du pichet.
Lui en tend un.
J'ai revé de vous... C'était... étrange...
Oh, elle fait une drôle de tête d'un coup. J'ai du gaffer... Elle doit s'imaginer....
Un geste de la main, manière de dire "bah, c'est sans importance"...

Le jour de l'entrainement, hein ?
Le jour où je suis sensé vous détester.
Et je croque dans une pomme.

Sujet: Re: L'eau et le feu / Chapitre 2 : La traque