Dernière danse

Beaucoup s'en doutent depuis un bon moment.
D'autres se le cachaient pour y croire encore.

On a tenté plusieurs manoeuvre de réanimation?
Massage cardiaque, insufflation, et autre tripotage peu courtois.

Rien n'y a fait.

On s'est fait beaucoup de mal ces derniers temps.
Beaucoup de mal a s'acharner.

Le concept de Munuroe avait un potentiel, mais nous, avions nous vraiment la compétence …

Je repensais à ce que quelqu'un nous a dit en claquant la porte. D'ailleurs, un écho s'est glissé par la fenêtre après son départ en haussant les épaules et en dandinant du cul : Nous sommes fragiles et vacillants comme la flamme d'une bougie, trop instables pour qu'on y consacre son énergie créatrice.
C'est difficile de répondre à un écho. ça vient de loin, c'est aussi franc qu'un …

Sujet: Dernière danse Mer 24 Juin - 14:32

L'herbe ploie sous mes pieds. Douce. Peut-être qu'elle n'y croit pas. Moi –même j’ai du mal à y croire…
Mes pas sont lents, réguliers. Lourds. Ma destination se dessine au loin, dans la brume de l'aube. La rosée est tiède. Je l'ai voulue comme ça. Elle trempe le bas de ma robe qui se plaque à mes chevilles. D'habitude j'aime ça. Aujourd'hui, je m'en rends à peine compte. Ca n'a plus d'importance.
Plus rien n'a d'importance.

Les frontières s'effacent. La statue dans le temple n'est plus qu'une statue, le passage est fermé, il ne reste plus que le jardin, la terrasse déjà est mangée par l'oubli. Je ne cherche plus à maintenir son existence, alors elle s'effrange lentement... Moi j'avance vers le mausolée, lentement, sans plus prêter le moindre regard à ce qui m'entoure. Ca ne compte plus...
Plus rien ne compte.

Ils sont trop nombreux. Trop obtus. Trop pourris, déjà. Même ceux de ma soeur, le sang comme loisir préféré, ignobles. Si nombreux... Et ceux qui ont vu par mes yeux, si rares... Chacun d'eux est une lueur fragile dans un océan de ténèbres... Leur foi est ténue, leur savoir tronqué, ils espèrent sans espérer, tenus debout, fiers, par une vision qu'ils n'ont jamais vécue... et de quel droit leur ai-je imposé le passé d'un monde qui n’est plus que dans mon souvenir ? De quel droit est-ce que je les envoie à la mort pour un regret ?... Car seule la mort les attend.

Sire Anno, toi le premier, encore couvert du sang épais d'un des laquais de ma soeur... Je me souviens de ce qui hantait ton âme, je me souviens d'un panier et d'une main minuscule qui cherchait le joujou pendu à l'anse... tu es un coeur noble. Mais les espoirs que je t'ai donnés sont voués à l'échec. Bartus, tes yeux hier encore brillaient d'une confiance dont je ne sais même pas l'origine... As-tu été abusé par mon apparence ? Mon intuition me dit que ça allait plus loin, mais je n'ai jamais eu l'occasion de savoir... Caracole, l'incertitude incarnée, le torturé qui voulait porter le poids des douleurs des autres... Ma soeur Ysalena t'aurait aimé, tu lui ressemblais. Pourquoi m'as-tu choisie ? Mystère... Naru, l'ivrogne au sourire de vainqueur, qui m'opposais ton ivresse comme un rempart, tu prétends m'avoir suivi parce que j'ai donné le vin aux hommes... Est-ce vraiment tout ? Tu t'es battu... se bat-on pour du vin ? Et le dernier, celui qui nous a rejoints à trois minutes du combat... Otos. Ton esprit est fluide comme l'eau, aussi fuyant et pourtant aussi stable... Une tournure de pensée qui n'est qu'à toi, une manière de sauter du sérieux à la blague et retour, d'une minute à l'autre. Tu m'amusais. Tu m'intriguais. Tu me surprenais. Et ce n'est pas mince chose de surprendre une déesse...

Vous tous... Merci. Vous avez été mes lueurs d'espoir.
Je ne veux pas vous envoyer à la mort.
Ils sont trop nombreux, les pourceaux et les chiennes d'Odieu. Et ces Rebelles, acharnés à se gagner une liberté factice, dans un monde déjà dégradé... au moins ils se battent pour eux-mêmes, au moins leur vision d'eux-mêmes est-elle fière et droite, même si ils se contentent de si peu au fond... Ils pourraient tellement plus... mais c'est déjà ça.
Tant pis.
Leur choix est fait.
Le mien aussi.
Soyez libres, vous qui m'avez offert votre foi.
Vous êtes mon dernier sourire sur ce monde. Je veux vous l'offrir en retour, maigre cadeau... Un sourire qui viendra à vous au plus profond du sommeil, mettre un reflet d'or et de cuivre sur vos rêves. L'espoir que vous m'avez donné vivra au fond de votre âme, ultime parcelle de moi. Il ouvrira vos yeux, parfois, à des détails du monde que vous n'auriez pas remarqués, vous apportera des parfums que vous n'auriez pas sentis, des sons ténus et magnifiques, des sensations subtiles, toutes ces petites choses que les autres ne ressentent plus, je vous les offre... Peut-être ainsi le monde sera-il moins laid pour vous... Peut-être ainsi me pardonnerez-vous...

Le mausolée, devant moi. Les marches sont froides, dures, indifférentes. Dedans, les huit catafalques, ceux qui ont choisi de passer auprès de moi leur trop brève existence... Sept morts et un endormi, qui jamais ne s'éveillera. Jamais. Ils seront mes compagnons, cette fois encore... Mon temps s'achève, la guerre n'était pas pour moi, c'était une erreur... Jamais je n'aurais du me mêler de combattre...

Sujet: Re: Dernière danse Mer 24 Juin - 14:32

Elle gravit les marches, lentement, et entre dans le bâtiment blanc. Elle avance jusqu'au centre de la pièce, entre les huit socles où reposent les corps, scellés dans ce cristal limpide et inaltérable qui les a conservés à travers les siècles... Seul le dernier repose à découvert, on voit à peine se soulever sa poitrine. Immobile au coeur du soleil blanc que dessinent les huit catafalques, elle incline la tête. La lumière du dehors décroit. Lentement, les fenêtres rétrécissent, disparaissent. L'arche de l'entrée se ferme comme une pupille de chat. Bientôt le mausolée n'est plus qu'un demi globe massif, sans ouverture ni faille, un bloc de pierre blanche et lisse posé sur l’émeraude de l’herbe.

A l'intérieur de la salle à présent fermée, dans l'obscurité totale, elle est toujours immobile. Goûte-t-elle le silence ? Ou hésite-t-elle devant l’acte qui vient au-devant d’elle ? Brutale, la lumière jaillit, un blanc cru de fournaise, qui noie sa silhouette en une fraction de secondes. Mais personne n’est là pour voir. Rien de filtre au-dehors de cette lueur violente d’étoile à l’agonie…

Ca n’a duré qu’une seconde… Déjà, la lueur s’éteint, les ténèbres reprennent possession du lieu, totales, opaques, définitives… Les corps ont disparu de leur socle, maintenant vides et nus. Au centre de la pièce il reste un petit tas de cendres argentées. Rien ne bouge, même pas l’air, tout n’est que paix désertique et silence total… Pourtant, un petit tourbillon s’anime et soulève la cendre en une dernière danse solitaire… Lentement, la sarabande de poussière s’amplifie, les grains impalpables s’éloignent les uns des autres, s’enfuient, et vont se perdre dans la pierre blanche des murs.

Sur le front de cinq mortels endormis, une petite marque d’argent apparaît. Puis elle se fond dans leur chair et s’efface. Aucun d’eux ne s’est éveillé.

Sujet: Re: Dernière danse Mer 24 Juin - 23:58

Un rêve, un sommeil paisible.

...

Une image, une odeur, un sentiment.

...

Banda.

...

Elle… sourit… ?

Pourquoi… ?

Pourquoi fait-elle cela ? Pourquoi ai-je cette sale sensation…

Pourquoi ma gorge est elle serrée ? Pourquoi cette douleur aigüe dans le bide.

...

Je ne me réveille pas…

J’ai envie d’ouvrir les yeux, de me lever, de la rejoindre !

Suis-je fou ?

Simple humain désirant prendre le chemin des dieux.

Mais elle… Plus humaine que déesse. Je l’ai découvert dans cette taverne.

Elle qui m’a regardé, écouté, parlé, partagé quelques verres de vins…

Banda. Pourquoi tu t’éloignes ? Le monde a besoin de toi.

Il faut quelqu’un qui nous ressemble… Qui me ressemble…
... Parmi les dieux…

Je ne me réveille pas. Des larmes endormies sur mes joues.

Une bouteille se brise au sol.

Elle…
… Disparue.

Des questions, de la tristesse et maintenant... Cette chaleur sur le front.
Comme un doux baiser qui dure… Cette tendresse qui m’enveloppe…
Que je garderai en moi…

Banda…

Je ne me réveille pas non…

Sal’té d’Morphée !

Sujet: Re: Dernière danse Jeu 25 Juin - 0:23

Un peu plus haut, par-dessus les épaules des nuages et des cieux tristes, une image pieuse à ce moment là s’est posée sur un socle imaginaire. Elle observe la scène, elle regarde et ne s’enfuit pas, elle reste là haut perchée, elle ne dit rien, ne fait rien, retenue par une stupidité inavouée, une chose qui existe partout dans tous les mondes et qui ne fait pas la différence entre dieux et mortels : la fierté.

L’image est triste et seule sur son socle imaginaire.
Elle sait qu’elle ne pourra rien changer, que ces événements sont inscrits quelque part sur des pupitres qui ont perdu la tête, écrits par des gens qui ont perdu la foi.
L’image s’accoude et soupire.

Il pleut dans le ciel, des larmes invisibles, des larmes qui s’effacent en cours de chute, larmes discrètes, larmes sincères, larmes qui ne fouleront pas le sol pour ne pas déranger.
Un sanglot dans le ciel c’est un essaim d’abeilles qui disparaît dans un nuage mélancolique, mais personne ne le saura, personne ne doit savoir, tout le monde se fiche des abeilles, mille autres remplaceront les abeilles mortes, mille autres investiront l’essaim et y feront leur habitat.

L’image jette un dernier regard sur le monde qui va.
Et puis, elle ravale sa fierté dans une inspiration secouée, une inspiration d’enfant en fin de sanglot, quand les larmes sèchent sur la joue.
Le socle imaginaire planté dans les nuages s’évapore.

Odieu ne faisait que passer.

Sujet: Re: Dernière danse Ven 26 Juin - 15:14

Un grand cri s’échappe et déchire le calme ambiant du mausolée.

Lymbia la colère se tord de douleur. La déesse sans cœur vient de sentir la disparition de sa sœur. Une sensation étrange l’envahie. Isolée dans son antre de néant, cachée dans l’obscurité, elle se courbe. Ses mains plaquées sur son ventre, elle essaie désespérément de cacher la lueur qui l’envahie.

Cette sœur qui disparaît, alors qu’elles devaient combattre leur père, ensemble. Ses espoirs qui s’évaporent, consciente que si une déesse baisse les bras, les mortels feront de même, tôt ou tard. Et cette colère, qui ne cesse de grandir.

Banda, tu me trahis à ton tour ! Tu n’avais pas le droit de partir de la sorte. Non, tu n’étais pas faite pour le combat. Pourtant, telle était notre destiné !

Un seul être vous manque, et c’est tout un équilibre qui s’effondre. Lymbia la haine a fait fuir la lueur. Elle est à nouveau dans la pénombre. Et elle voit, elle le voit, lui, frère ennemi qui ose laisser couler ses larmes alors qu’il est responsable ! L'Erreur ne suffit plus à expliquer sa rage. Il lui faut quelqu'un contre qui se battre, physiquement.

Odieu, je te détruirai !

La déesse de la nature aurait pu refaire surface, grâce à l’amour d’une sœur. Mais désormais, sa peau divine est trop aride, son cœur trop asséché. Aucun espoir de retour en arrière.

Lymbia la fureur est en train de sombrer vers les Ténèbres. Elle n’en ressortira certainement pas indemne. Elle reste là, immobile, les yeux fixés sur le mausolée. Elle caresse de son esprit les pierres blanches, tentant de récolter un peu de cette poussière laissée par sa sœur. Et elle se lèche les doigts. Folie divine bien obscure.

Sujet: Re: Dernière danse