C'est un grondement sourd et incertain. Un grondement lointain, qui pourrait presque inaperçu. Mais si mes yeux ne peuvent voir, j'ai appris à écouter. A repousser les limites de l'audible. De l'entendement même. J'ai appris à comprendre ce que personne ne pourrait comprendre. Et ce grondement porte une promesse. Étrange promesse d'ailleurs, dont on ne découvrira le sens véritable qu'à la fin. La fin des temps... Qui sait.
C'est une menace qui se dresse à l'horizon. Dévastatrice. Meurtrière. Qui prend la forme que l'on a bien voulu lui donner. Celle de guerriers aux capacités digne des héros de l'ancien temps. Des héros au regard bien sombre. Des créatures à taille herculéenne.
L'annonce d'une guerre prochaine. La guerre des Dieux.

Du sang. La meilleure façon de tenir un peuple, lui offrir du sang. Des morts, des batailles, l'occasion d'entrer à son tour, dans la légende. Il faut bien les occuper tous ces hommes. Tous ces minuscules pions que les Puissants s'amusent à déplacer sur l'échiquier géant de leurs bons plaisirs. A croire qu'on n'a rien trouvé de mieux pour les empêcher de s'ennuyer.
En parlant de l'ennui, on dit qu'il est la cause de tout. Dieu s'ennuyait. Voilà le fin mot de l'histoire. Le "fin" mot, façon de parler. Il entraîna l'erreur, il porta le fruit divin de l'imperfection et amena Munuroë à sa perte. C'est ce que racontait ma Grand-Mère. Je l'ai toujours entendu ressasser cette histoire. Imaginez-vous qu'elle avait connu la perfection. Le monde parfait d'autrefois. Mais c'était il y a... longtemps.

Quoiqu'il en soit, l'heure est venue de faire son choix.
D'un côté, Lymbia, la fille. Celle par qui la rébellion est née. La puissance de la vengeance comme elle dit. Elle a quelque chose de la pré-ado pubère en pleine révolution. A bas la paternité! Ne répétons pas les erreurs de nos pairs! Je m'attendais à ce qu'elle sorte la panoplie typique des bobos de la Haute, mais il n'en fut rien. Elle a sorti de sa manche, les vrais grands méchants. L'armée de Lymbia. Un nouveau commencement, le déferlement de la violence, de la colère. La saine colère, celle qui cherche purement à s'exprimer. Une colère primitive si vous voulez, qui à coups de guerriers sur-vitaminés, surentraînés frappe. Et tue. Ceux qui ne l'ont pas encore rejoint, la craignent. Et ils ont raison.
De l'autre, Dieu, le père. Notre Créateur. Celui par lequel est venue l'Erreur, celui qui créa les Mortels, le pêché originel. Toutes les tendres âmes de nos contrées se rallient à sa cause. Parce que contrairement à sa gamine, il ne prône pas le sang. Si bataille il devra y avoir, si sang on devra verser, alors oui, il abattra ses cartes, ses pions. Et avec eux, ses fils, ses frères, ses sœurs, tout ceux dont la colère de Lymbia ne pourra satisfaire les plus sombres dessins. Quoi?! N'allez pas croire que tout cela n'est que la lutte du Bien et du Mal, vous seriez par trop naïf. Tout n'est et ne sera toujours qu'un simple conflit d'intérêt.
Demandez-vous alors, d'où vient la véritable erreur. Des Mortels que les Dieux créèrent. Ou de l'image à laquelle ils les façonnèrent...

Réfléchissez bien.
Je ne suis pas venu faire la leçon. Non, non. Loin de moi cette idée. Je suis venue, spectatrice, poser mes jupes fripées au bord du caniveau pour venir observer le duel parricide qui s'engage, loin des limbes de l'azur, là, au milieu de la fange.